Archives de catégorie : Général

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Poids des tâches administratives dans le temps de recherche

« Le monde universitaire n’était pas moins normé [dans les années 70] qu’il ne l’est actuellement. Des thèses poursuivies des années durant. Des professeurs gérant à vie des domaines réservés. Des recteurs, des doyens, des présidents, réactionnaires et idiots, des politiques incultes, des ministres flics, des Grandes Écoles arrogantes et archaïques, des concours contre-sélectifs, etc. On avait tout ça aussi bien que maintenant. Alors, quelle différence ? Peut-être une différence dans les modes de contrôle et de gestion. Les techniques du management moderne n’avaient pas encore pénétré le monde de l’Université et de la culture. Le pouvoir se manifestait de façon autoritaire, mais il manquait de moyens pour aller plus loin et pour y voir clair. Un peu partout existaient des recoins mal gérés ou oubliés, des institutions endormies dont on pouvait détourner les ressources, des zones, des marges, à l’écart de la concurrence, dans lesquelles il était possible de s’enraciner pour faire ce que l’on voulait et parfois du nouveau. Rien n’était juste, au moins si l’on prend ce terme dans son sens méritocratique. Rien n’était correctement évalué. Avec le même salaire, certains faisaient une œuvre et d’autres rien. Avec la même dotation, certains labos faisaient l’impossible et d’autres ronronnaient doucement. Mais ce laisser aller, cette négligence gestionnaire était précisément ce qui ouvrait un espace de liberté où la création devenait possible. »

(Luc Boltanski, Rendre la réalité inacceptable)

Depuis le 16 octobre dernier, j’utilise une application pour comptabiliser le temps que je consacre à chaque tâche dans mon activité de Chargé de Recherche CNRS. Je souhaitais en particulier quantifier la proportion des tâches administratives dans mon emploi du temps : comme beaucoup de personnes au sein de l’ESR, le management de la recherche me semble entraîner une perte de temps colossale. Alors que je m’apprête à partir en congé paternité, il est l’heure de tirer un premier bilan provisoire.

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A mind map of concepts in auditory/speech perception

Since 2015, I made it a habit to summarize every single article I read with a few keywords + a list of technical details (methodology, type of stimuli used, task, group of participants) resulting in a gigantic spreadsheet. As a positive side-effect, the list of 835 keywords offers a great way to grasp how research fields are structured into subfields corresponding to different concepts/models/theories. So I decided to create a mind map out of it:

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À la recherche du bruissement de la langue

« Il reste toujours trop de sens pour que le langage accomplisse une jouissance qui serait propre à sa matière. Mais ce qui est impossible n’est pas inconcevable : le bruissement de la langue forme une utopie. Quelle utopie ? Celle d’une musique des sens ; j’entends par là que dans son état utopique la langue serait élargie, je dirais même dénaturée, jusqu’à former un immense tissu sonore dans lequel l’appareil sémantique se trouverait irréalisé ; le signifiant phonique, métrique, vocal, se déploierait dans toute sa somptuosité, sans que jamais un signe s’en détache »

– Roland Barthes, Le bruissement de la langue

Dans Le bruissement de la langue [1], Roland Barthes imagine une parole complètement affranchie de son sens, pour être perçue seulement comme un bruit abstrait et poétique, et non plus comme un message. La voix parlée ainsi abstraite des représentations qu’elle véhicule retournerait à sa pure musicalité, c’est-à-dire à la substance acoustique qui constitue notre langage oral. Écouter ce matériau sonore reviendrait un peu à percevoir le gazouillis d’une langue inconnue, dont le rythme et les modulations ressembleraient à s’y méprendre à la nôtre sans qu’il nous soit possible d’y discerner le moindre mot.

Pour Barthes, isoler le bruissement de la langue constitue une pure expérience de pensée : tant que la langue nous est familière, le son de parole ne peut jamais être complètement affranchi de son sens, de même que le sens ne saurait exister sans le son qui le porte. Autrement dit, il y a une relation fusionnelle entre le contenu sémantique et le contenant acoustique. Barthes envisage donc cette parole vide de sens uniquement en tant qu’idéal irréalisable, source potentielle d’inspiration pour la création artistique. De fait, on retrouve l’idée d’une langue retournée à son bruissement originel dans des œuvres très diverses. On pense en premier lieu au grommelot, le charabia burlesque pratiqué par nombre de personnages de comédie depuis les clowns jusqu’à Charlot, en passant par le théâtre de Dario Fo et quantité de films d’animation. La recherche d’un flux linguistique libre de tout sens distinct évoque également le vaste univers des poésies sonores futuristes, lettristes ou dadaïstes, forme ultime du poème qui renonce à l’usage des mots et de la syntaxe pour s’attacher à la musique des onomatopées et des phonèmes isolés. Mentionnons entre autres exemples marquants l’Ursonate de Kurt Schwitters (ou « Sonate des sons primitifs ») ou la bande-son du Traité de Bave et d’Éternité d’Isidore Isou.

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Voix, métamorphoses et possessions au cinéma

Au fil de l’histoire du cinéma, et même avant l’avènement du parlant, la voix humaine a été une source inépuisable d’inspiration pour les réalisateurs et réalisatrices, en particulier dans son lien avec la notion d’identité [1], [2]. Sans prétention à une analyse théorique détaillée qui dépasserait mon champ de compétence, j’aimerais ici évoquer le rôle symbolique de la voix à l’écran, notamment comme marqueur de l’identité réelle du locuteur ou de la locutrice. J’illustrerai mon argumentation au moyen d’exemples familiers issus du cinéma fantastique occidental – et essentiellement hollywoodien – genre cinématographique obsédé par les thèmes de l’identité, de la métamorphose et de la possession.

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A visual compendium of auditory revcorr studies

Short explanation: this is a list of all major studies (to the best of my knowledge) that attempted to use variants of the « reverse correlation » technique to explore auditory perception, from very low-level to high-level processes. You can find more information on the modulation-perception revcorr and the phoneme-categorization revcorr under the « Research Projects » tab.

I have not aimed at exhaustivity but if you see some important contribution missing, please let me know!

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Triomphe des Lumières ou apologie du néolibéralisme ?

« Les philosophes qui sont confortables estiment que le progrès humain est arrivé à son terme ou est en bon chemin. Ils se croisent les bras et ils s’installent dans la paix du dimanche. Plus de travail sur la planche. Ils méditent dans le repos du septième jour. Tout n’est-il pas fait ? Les ancêtres n’ont-ils disposé le monde aux mieux des hommes ? Il ne reste plus que des compléments, que des embellissements, que la dernière main à mettre. […] Ils reparlent des progrès, des pouvoirs, des promotions de la Raison. Ils annoncent prophétiquement le développement pacifique de la conscience, l’enrichissement spirituel de la personne humaine, l’accomplissement de la Justice à l’intérieur de l’Homme et au sein des sociétés. » – Paul Nizan, Les Chiens de garde [1]

Dans un précédent billet, j’ai entamé une lecture critique de l’ouvrage Le Triomphe des Lumières de Steven Pinker [2]. Je me suis attaché à analyser le discours de l’auteur sur le plan de la validité de la démonstration, en faisant autant que possible abstraction des valeurs défendues. Cette critique des arguments me semblait un préalable nécessaire1 avant d’aborder plus frontalement la question de l’idéologie dans le discours de Pinker.
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Triomphe des Lumières ou faillite de la raison ?

Récemment traduit en français sous le titre Le Triomphe des Lumières1, le dernier livre du professeur de psychologie à Harvard Steven Pinker a suscité beaucoup d’enthousiasme. Pinker l’a présenté lors de nombreuses conférences (voir en particulier son TED talk sous-titré, les captations de ses interventions à l’ENS Paris et au Forum Économique Mondial de Davos). Les thèses avancées dans cet ouvrage ont fait l’objet d’une certaine médiatisation (Bill Gates ayant même déclaré qu’il s’agissait de son livre de chevet) et d’articles élogieux2, mais aussi de nombreuses critiques de la part de journalistes et de scientifiques anglophones (voir références dans l’article). Le point de vue défendu par Pinker et son argumentaire, qu’on retrouve presque à l’identique sous la plume d’autres auteurs3, rencontrent actuellement un certain écho dans la sphère politique et il me semble donc intéressant d’en proposer ici une critique en français.

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Développement et construction de la voix genrée

La voix est une composante invisible, et pourtant fondamentale, de la dimension corporelle du genre. Il s’agit d’un caractère sexuel secondaire, au même titre que la pilosité faciale ou la morphologie du corps, c’est-à-dire une marque du dimorphisme au sein de l’espèce humaine. Pourtant ces attributs, grossièrement corrélés au sexe biologique à l’échelle du groupe, sont également chargés, à l’échelle individuelle, d’une valeur symbolique : ils sont perçus comme preuves de la masculinité ou de la féminité de leur porteur ou leur porteuse. La voix, comme image sonore du corps qui la produit, n’échappe pas à cette règle. Ainsi, derrière le message linguistique qu’elle transmet, nous tirons de la façon de parler de notre interlocuteur ou de notre interlocutrice d’autres inférences indirectes sur son sexe, son âge, sa compétence, sa fiabilité, son orientation sexuelle, etc…

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Qu’observent les sciences cognitives ?

S’il n’est pas certain qu’il existe une méthode commune à toutes les disciplines des sciences naturelles et des sciences humaines, toutes s’accordent néanmoins sur l’idée qu’une conclusion scientifique doit être fondée sur des observations quantifiables. Dans les sciences expérimentales, ces observations sont obtenues lors d’expériences spécialement mises en place par le chercheur pour isoler le phénomène qui l’intéresse de manière reproductible [1]. Continuer la lecture de Qu’observent les sciences cognitives ?

Hello World!

Bienvenue chères visiteuses et chers visiteurs,

Vous trouverez sur ce site un aperçu de mon travail de chercheur ainsi que l’ensemble de mes publications scientifiques.

De plus, mon objectif est de l’enrichir, à terme, d’articles de vulgarisation plus transversaux, portant sur la compréhension de la parole et plus généralement sur la perception des sons, ainsi que de réflexion sur la recherche scientifique.

Bonne lecture,

Léo Varnet