A mind map of concepts in auditory/speech perception

Since 2015, I made it a habit to summarize every single article I read with a few keywords + a list of technical details (methodology, type of stimuli used, task, group of participants) resulting in a gigantic spreadsheet. As a positive side-effect, the list of 835 keywords offers a great way to grasp how research fields are structured into subfields corresponding to different concepts/models/theories. So I decided to create a mind map out of it:

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À la recherche du bruissement de la langue

« Il reste toujours trop de sens pour que le langage accomplisse une jouissance qui serait propre à sa matière. Mais ce qui est impossible n’est pas inconcevable : le bruissement de la langue forme une utopie. Quelle utopie ? Celle d’une musique des sens ; j’entends par là que dans son état utopique la langue serait élargie, je dirais même dénaturée, jusqu’à former un immense tissu sonore dans lequel l’appareil sémantique se trouverait irréalisé ; le signifiant phonique, métrique, vocal, se déploierait dans toute sa somptuosité, sans que jamais un signe s’en détache »

– Roland Barthes, Le bruissement de la langue

Dans Le bruissement de la langue [1], Roland Barthes imagine une parole complètement affranchie de son sens, pour être perçue seulement comme un bruit abstrait et poétique, et non plus comme un message. La voix parlée ainsi abstraite des représentations qu’elle véhicule retournerait à sa pure musicalité, c’est-à-dire à la substance acoustique qui constitue notre langage oral. Écouter ce matériau sonore reviendrait un peu à percevoir le gazouillis d’une langue inconnue, dont le rythme et les modulations ressembleraient à s’y méprendre à la nôtre sans qu’il nous soit possible d’y discerner le moindre mot.

Pour Barthes, isoler le bruissement de la langue constitue une pure expérience de pensée : tant que la langue nous est familière, le son de parole ne peut jamais être complètement affranchi de son sens, de même que le sens ne saurait exister sans le son qui le porte. Autrement dit, il y a une relation fusionnelle entre le contenu sémantique et le contenant acoustique. Barthes envisage donc cette parole vide de sens uniquement en tant qu’idéal irréalisable, source potentielle d’inspiration pour la création artistique. De fait, on retrouve l’idée d’une langue retournée à son bruissement originel dans des œuvres très diverses. On pense en premier lieu au grommelot, le charabia burlesque pratiqué par nombre de personnages de comédie depuis les clowns jusqu’à Charlot, en passant par le théâtre de Dario Fo et quantité de films d’animation. La recherche d’un flux linguistique libre de tout sens distinct évoque également le vaste univers des poésies sonores futuristes, lettristes ou dadaïstes, forme ultime du poème qui renonce à l’usage des mots et de la syntaxe pour s’attacher à la musique des onomatopées et des phonèmes isolés. Mentionnons entre autres exemples marquants l’Ursonate de Kurt Schwitters (ou « Sonate des sons primitifs ») ou la bande-son du Traité de Bave et d’Éternité d’Isidore Isou.

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Études statistiques : les limites du contrôle

 “– Are you interested in science, by any chance?”
The Limits of Control (Jim Jarmusch, 2009)

La notion de contrôle statistique est omniprésente dans les sciences de la vie et les sciences humaines. Chaque individu différant des autres par de très nombreux facteurs (âge, catégorie socio-professionnelle, couleur des cheveux, etc.), les scientifiques qui s’intéressent à un aspect particulier ont besoin de s’assurer que les variables non pertinentes ne parasitent pas leur mesure. C’est ici que le contrôle statistique entre en jeu : il s’agit d’un outil mathématique qui a pour objectif d’estimer l’effet propre d’une variable particulière en éliminant l’effet d’autres facteurs.

Pourtant, cet outil est très souvent mal utilisé, au point de produire des résultats erronés – voire même paradoxaux comme on le verra plus loin. Aujourd’hui, nombre de scientifiques estiment, à tort, que le moyen le plus efficace pour obtenir une estimation fiable consiste simplement à « contrôler » toutes les variables disponibles. Dans certaines branches des sciences cognitives ou de l’économétrie, on rencontre ainsi couramment des études affichant une très longue liste de facteurs intégrés pêle-mêle dans un modèle statistique : sexe, âge, niveau d’éducation, statut socio-économique, religiosité, niveau d’intérêt politique, degré de conviction idéologique, degré de conservatisme, fréquence d’exposition aux informations télévisées, taille du réseau relationnel…1 Cette tendance, que j’ai déjà évoquée au détour de ma critique du dernier ouvrage de Steven Pinker2, est si hégémonique qu’un nom lui a été attribué : « salade causale » [2] (d’autres préférant le terme de « régression-poubelle » [3]).

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Triomphe des Lumières ou faillite de la raison ?

Récemment traduit en français sous le titre Le Triomphe des Lumières3, le dernier livre du professeur de psychologie à Harvard Steven Pinker a suscité beaucoup d’enthousiasme. Pinker l’a présenté lors de nombreuses conférences (voir en particulier son TED talk sous-titré, les captations de ses interventions à l’ENS Paris et au Forum Économique Mondial de Davos). Les thèses avancées dans cet ouvrage ont fait l’objet d’une certaine médiatisation (Bill Gates ayant même déclaré qu’il s’agissait de son livre de chevet) et d’articles élogieux4, mais aussi de nombreuses critiques de la part de journalistes et de scientifiques anglophones (voir références dans l’article). Le point de vue défendu par Pinker et son argumentaire, qu’on retrouve presque à l’identique sous la plume d’autres auteurs5, rencontrent actuellement un certain écho dans la sphère politique et il me semble donc intéressant d’en proposer ici une critique en français.

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Études observationnelles et fausses corrélations : le paradoxe de Berkson

La période de crise sanitaire actuelle est marquée par un regain d’intérêt pour l’analyse de données épidémiologiques. Elle a porté sur le devant de la scène médiatique certains concepts clés de l’expérimentation scientifique, telle la notion d’essai clinique. De façon liée, on a pu entendre de nombreux appels à la prudence dans l’interprétation de résultats issus d’études observationnelles – c’est-à-dire portant sur l’analyse de caractéristiques d’un groupe de patients et patientes sans aucune intervention particulière de la part des scientifiques (p.ex. l’administration d’un traitement particulier)6. Je voudrais ici insister sur les limites inhérentes aux études observationnelles, en illustrant à quel point il est facile d’obtenir une corrélation fallacieuse entre deux pathologies (ou plus généralement deux conditions médicales) lorsque l’on s’intéresse à des données recueillies chez des personnes admises à l’hôpital.
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Voix, métamorphoses et possessions au cinéma

Au fil de l’histoire du cinéma, et même avant l’avènement du parlant, la voix humaine a été une source inépuisable d’inspiration pour les réalisateurs et réalisatrices, en particulier dans son lien avec la notion d’identité [1], [2]. Sans prétention à une analyse théorique détaillée qui dépasserait mon champ de compétence, j’aimerais ici évoquer le rôle symbolique de la voix à l’écran, notamment comme marqueur de l’identité réelle du locuteur ou de la locutrice. J’illustrerai mon argumentation au moyen d’exemples familiers issus du cinéma fantastique occidental – et essentiellement hollywoodien – genre cinématographique obsédé par les thèmes de l’identité, de la métamorphose et de la possession.

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Comment notre cerveau différencie-t-il les phonèmes de la langue ?

Entretien publié sur le site de l’ENS Paris le 18/11/2020.

Léo Varnet est chargé de recherche CNRS au sein du laboratoire des systèmes perceptifs au département d’études cognitives de l’ENS-PSL. Le scientifique vient d’obtenir une bourse de recherche ANR pour poursuivre des travaux sur une méthodologie de psychologie expérimentale, initiés lors de sa thèse. Une ANR-fast ACI pour, en somme, accélérer le calcul des Images de Classifications Auditives (ACI) et ouvrir la voie, demain, à un paramétrage véritablement individualisé des audioprothèses.

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L’image de classification auditive, partie 1 : Le cerveau comme boîte noire

La méthode dite de la corrélation inverse (en anglais reverse correlation ou plus familièrement revcorr) est une approche psychophysique relativement récente. Elle fit sa première apparition dans les années 70 dans les travaux de Albert J. Ahumada Jr., à l’époque chercheur à l’Université de Californie à Irvine, qui s’intéressait alors à la stratégie par laquelle notre système auditif parvient à détecter un ton pur (un « bip ») dans un bruit de fond [1, 2]. Pour attaquer ce problème, Ahumada décida de corréler directement chaque son à la réponse que celui-ci engendre chez un individu. L’idée de cette approche lui venait probablement de sa formation en mathématiques en lien avec l’ingénierie : en effet, une méthode similaire était déjà appliquée depuis les années 50 pour caractériser des systèmes physiques, comme les circuits électriques.

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L’Image de Classification Auditive, partie 2 : À la recherche des indices acoustiques de la parole

Dans un précédent billet, j’ai présenté le principe de la corrélation inverse, un outil mathématique permettant de caractériser le fonctionnement d’un système dont la mécanique exacte nous est inaccessible (représenté comme une « boîte noire » munie d’un câble électrique en entrée et d’un second câble en sortie). J’ai ensuite montré comment la même approche pouvait être appliquée à cette boîte noire particulière qu’est le cerveau humain. Une part de mon travail de recherche depuis ma thèse consiste à développer cette méthodologie dans le champ de l’étude de la perception des phonèmes par le système auditif.

Dans cet article, je décrirai le principe des Images de Classification Auditives (ICA) à travers l’exemple de la perception des sons « aba » et « ada ». Je laisserai momentanément de côté les considérations linguistiques – sur lesquelles je reviendrai dans un prochain article – pour me concentrer sur le positionnement du problème et la réponse apportée par les ICA.

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